Depuis son Steamboat Willy de 1928, premier dessin animé doté d’une bande sonore synchronisée, la firme aux grandes oreilles revendique d’être une entreprise qui investit massivement dans l’innovation technologique. Elle a en effet été pionnière dans de nombreux domaines du divertissement toujours à la pointe : du dessin animé aux films, des parcs d’attraction aux jeux vidéo, sans oublier tous les produits dérivés. La société détient ainsi aujourd'hui plus de 4 000 brevets liés à ces différents secteurs d’activité. Cette croissance avant-gardiste ne pouvait ignorer l'arrivée de l'intelligence artificielle. Lors de sa nomination en tant que PDG en 2005, Robert Iger a ainsi fait de l’adoption technologique l’une des trois grandes priorités de son mandat.
Avec la diversification de ses activités, une présence mondiale et une concurrence accrue sur le marché, l’entreprise ressentait le besoin de rationaliser ses processus et ses coûts. L'émergence de modèles d’intelligence artificielle toujours plus performants, à la fois financièrement et techniquement accessibles, constitue une opportunité majeure pour le groupe. Toutefois, cette avancée représente également un risque pour les nombreux professionnels du secteur : scénaristes, animateurs, acteurs, employés des parcs, etc. C'est notamment ce qui a conduit à la grève des scénaristes d’Hollywood cet été. Ils perçoivent l'IA, cette poudrière technologique, comme une menace existentielle pour leurs métiers. Profitons de l'attention portée sur Disney pour explorer comment le groupe a intégré cette technologie dans ses opérations.
Début 2020, l’entreprise a créé un groupe de travail chargé d'étudier l’IA et ses opportunités d’application dans tous les secteurs de l’entreprise. Cela concerne les studios, la télévision, les parcs, l'ingénierie et la création publicitaire, avec l’ambition qu’ils soient à terme entièrement gérés par l’IA.
Films et séries
Pour ses films tels que "Rogue 1", "Indiana Jones" et "Miss Marvel", l’entreprise a mobilisé des centaines d’employés pendant plusieurs années pour le "de-aging" de personnages, tels qu'Indiana Jones ou Nick Fury, ou même pour les recréer, comme la princesse Leia. Toutefois, les avancées récentes, en particulier grâce à l’IA générative capable de créer des personnages intégralement à partir de textes (les désormais bien connus "midjourney" ou "dalle"), ou même de produire des courts métrages tels que le film de 17 minutes "The Frost", représentent une opportunité inestimable pour Disney. Disposant de ressources financières considérables, l'entreprise peut adopter et adapter ces technologies à ses besoins avec une grande aisance. Ils ont d'ailleurs déjà commencé à le faire en générant entièrement grâce à un modèle le générique de leur série "Secret Invasions".
De son côté, Disney Research explore les domaines de l’IA, du machine learning et de l'informatique visuelle afin de créer des humains numériques indiscernables de leurs homologues réels. Ceci dans le but d’accroître la pertinence et l'efficacité des effets numériques mis en œuvre.
L’entreprise a également récemment développé le système de capture nommé "Medusa", lequel permet de reconstruire les visages d’acteurs sans avoir recours aux méthodes traditionnelles. Il a été employé dans une quarantaine de films, notamment pour remplacer des acteurs disparus, comme le roi T'Challa dans "Black Panther" suite au décès de Chadwick Boseman.
Parcs
Dans les parcs d'attraction, l’IA a pour mission d’améliorer l’assistance à la clientèle et de créer de nouvelles interactions avec le public. Ceci se manifeste notamment par le biais du projet "kiwi", qui met en œuvre des techniques de machine learning. Ces techniques ont été utilisées pour créer un robot représentant "bébé Groot", personnage bien connu des aficionados de Marvel, qui fonctionne de manière totalement autonome.
En s'appuyant sur des méthodes hardware éprouvées et familières, ils ont conçu un robot capable de marcher, danser et interagir avec le public. Les avancées mécaniques ont depuis longtemps fait évoluer la mécatronique et la robotique d'une problématique purement matérielle à une problématique principalement logicielle. À long terme, une fois ces robots perfectionnés, ils auront pour mission d’accueillir les visiteurs dans les parcs Disney, incarnant de manière plus authentique les personnages préférés des fans que de simples acteurs revêtus de costumes.
Hôtels
Allant encore plus loin, la société a créé un personnage entièrement piloté par des modèles : le droïde de cabine D309, présent dans l’hôtel Star Wars Galactic Starcruiser. Bien que cet hôtel ait fermé en raison des coûts prohibitifs de la suite, il proposait une interface via un chatbot doté d’effets visuels. Ce dernier était disponible à toute heure et apprenait constamment des requêtes de ses clients, offrant une expérience toujours plus agréable et personnalisée.
Ces innovations, qui progressent à un rythme exponentiel, sont certes impressionnantes et prometteuses, notamment pour les technophiles. Cependant, elles ne sont pas sans conséquences. Même si les acteurs, scénaristes, équipes marketing, financières, etc., de l’industrie sont actuellement assistés par ces outils, leur perfectionnement rapide et leur autonomie croissante pourraient, à terme, les rendre redondants. Ceci est d'autant plus préoccupant dans un contexte économique tendu pour Disney et l'ensemble de l'industrie, qui ont déjà dû licencier des employés et envisagent de poursuivre dans cette direction dans les mois et années à venir.
Conclusion
Dans un monde où la technologie évolue plus rapidement que jamais, Disney, comme tant d'autres, est confronté au défi de concilier progrès et responsabilité sociale. Seul l'avenir nous dira comment l'entreprise naviguera dans ces eaux complexes, mais une chose est certaine : Disney continuera de façonner et de redéfinir le paysage du divertissement mondial.