Dans le monde moderne, le terme « hacker » évoque des individus qui exploitent les systèmes informatiques pour en découvrir les failles. Mais qu’en est-il si l’on remonte dans le temps, avant même l’invention des ordinateurs ?
Thibaut Rety, à travers son enquête pour trouver le premier hacker, a trouvé la définition suivante issue du Wiktionnaire :
(Générique) Modifier ou améliorer tout et n’importe quoi (logiciel et matériel, informatique ou non)… Pas par nécessité, mais par curiosité.
(Anglicisme informatique) (Sécurité informatique) Explorer, fouiller, sonder, bricoler, bidouiller un système d’information, un matériel ou système informatique, par culture numérique ou jeu.
Eugène-François Vidocq est un aventurier, bagnard repenti, détective et chef de la police française, souvent considéré comme le père de la criminologie moderne et de la police de renseignements, il pourrait bien être considéré comme un hacker non pas de systèmes informatiques, mais des structures sociales et juridiques de son époque.
Voyons comment cet homme au parcours atypique a su utiliser des méthodes dignes des « pirates » modernes pour contourner et réécrire les règles.
Un homme entre deux mondes
Né en 1775 à Arras, Vidocq commence sa vie comme un délinquant. Recherché pour de nombreux vols et évasions spectaculaires, comme celle où il aurait trompé ses geôliers en se déguisant, il s’échappe de l’infirmerie du bagne de Toulon habillé en chirurgien. Il se fait un nom dans le milieu criminel avant de changer de camp.
En 1811, après avoir convaincu les autorités de ses capacités hors du commun, il propose ses services à la police parisienne, devenant un informateur puis le chef de la Sûreté nationale. Ce parcours, oscillant entre criminalité et justice, rappelle les « hackers » modernes qui, une fois repérés, sont parfois recrutés par des entreprises ou des gouvernements pour renforcer la sécurité des systèmes.
Son expérience criminelle lui permettait de comprendre et de déjouer les méthodes des malfaiteurs. Il exploitait les failles des systèmes judiciaires et policiers pour résoudre des affaires complexes. Cette capacité à anticiper les mouvements de ses adversaires le place dans la catégorie des « white hat hackers » avant l’heure : ceux qui utilisent leurs compétences pour prévenir les attaques et améliorer la sécurité.
Vidocq et l’exploitation des failles humaines
Si les hackers informatiques exploitent les vulnérabilités des systèmes, Vidocq s’attaquait aux failles humaines et institutionnelles. Par exemple, il utilisait des déguisements pour infiltrer des réseaux criminels, se faisant passer pour l’un des leurs. Cette stratégie d’ingénierie sociale – aujourd’hui une technique centrale des cyberattaques – lui permettait de recueillir des informations cruciales.
Un autre exemple est sa capacité à manipuler les informations. Vidocq employait des informateurs et utilisait des rumeurs pour déstabiliser ses ennemis.
Cette méthode lui permettait de saper la confiance et la cohésion parmi ses adversaires, rendant leurs activités criminelles plus faciles à démanteler.
Ces tactiques rappellent celles d’Edmond Dantès dans Le Comte de Monte-Cristo, qui manipule le télégraphe de Chappe pour ruiner un adversaire.
Bien qu’il n’utilisait pas de technologies modernes, Vidocq savait exploiter les systèmes de communication et les dynamiques sociales de son époque à son avantage.
Pionnier de la criminalistique
Vidocq ne se contentait pas de contourner les systèmes : il les améliorait.
On lui doit plusieurs innovations qui ont révolutionné la police :
- Il est à l’origine de l’utilisation de la balistique notamment en documentant méticuleusement les impacts de balles et en développant des méthodes pour comparer des marques uniques.
- Il est également à l’origine de l’utilisation des empreintes pour identifier les criminels. Une de ses affaires célèbres illustre cette avancée : il réussit à résoudre un vol grâce à l’analyse des empreintes laissées sur une vitre, établissant un précédent pour les enquêtes futures.
Ces avancées préfigurent les outils modernes de cybersécurité, qui permettent de tracer les activités malveillantes en ligne et de remonter jusqu’à leurs auteurs.
Vidocq, une source d'inspiration pour la fiction
La vie fascinante d'Eugène-François Vidocq a inspiré de nombreux personnages de fiction.
L'un des plus célèbres est probablement Jean Valjean, le héro des Misérables de Victor Hugo, dont le parcours de rédemption reflète certains aspects de la vie de Vidocq. De même, l'inspecteur Javert, toujours en quête de justice stricte, s'inspire directement de l'antagonisme vécu entre Vidocq et ses anciens poursuivants.
Vidocq a également influencé des figures telles que Sherlock Holmes, dont les méthodes d'investigation minutieuses rappellent celles du pionnier de la Sûreté. Son influence s'étend même au cinéma et à la télévision, avec des adaptations directes ou des personnages inspirés de son ingéniosité et de sa double identité, mêlant criminel repenti et détective visionnaire.
Une figure inspirante pour les hackeurs modernes ?
Vidocq est une figure fascinante à bien des égards. Tout comme les hackers modernes, il se positionnait à la frontière entre l’ordre et le chaos, entre le respect des règles et leur réinvention.
Par exemple, tout comme Kevin Mitnick, célèbre hacker des années 1990, Vidocq a su transformer des failles qu’il exploitait initialement pour ses propres intérêts en atouts au service des autorités.
Les deux figures illustrent comment une compréhension fine des systèmes peut basculer entre exploitation et renforcement de ces mêmes systèmes. Sa capacité à voir au-delà des conventions de son époque, à exploiter les failles pour créer des solutions nouvelles, en fait un précurseur des hackers d’aujourd’hui.
Ainsi, considérer Vidocq comme un hacker n’est pas si anachronique qu’il n’y paraît. Il illustre comment une compréhension profonde des systèmes – qu’ils soient sociaux, institutionnels ou technologiques – peut être utilisée pour transformer le monde.