Ada Lovelace : la visionnaire qui a imaginé la programmation avant l'heure

On peut considérer à raison que la machine analytique tisse des modèles algébriques comme le métier Jacquard tisse des fleurs et des feuilles.

Ada Lovelace, 1843

Et si Ada Lovelace pouvait nous parler aujourd'hui ? Bienvenue dans cet échange fictif avec Augusta Ada King, comtesse de Lovelace que nous connaissons mieux sous le nom d'Ada Lovelace !

Thibaut Rety : "Bonjour Madame la comtesse et merci de répondre présente aujourd'hui pour cet échange qui sort un peu des sentiers habituels. C'est pour moi un immense honneur de vous rencontrer ! Nous sommes en 2025 et vous êtes considérée comme la mère de la programmation. Quel est votre ressenti face à ce titre ?"

Ada Lovelace : "Merci pour votre accueil. Pour être sincère, ce titre me surprend et me touche réellement. Le terme "programmeuse" n'existait pas à l'époque. Je me suis toujours considérée comme une simple analyste explorant les travaux de la machine analytique de Charles Babbage. Je n'ai jamais cherché la renommée ; mon but était avant tout d'ordre scientifique. Anecdote amusante : lorsque j'ai complété les travaux de Charles Babbage, ce dernier était vraiment enthousiaste et m'a demandé pourquoi je n'avais pas écrit ma propre étude. Je n'y avais simplement jamais pensé !"

Thibaut Rety : "Vous êtes née le 10 décembre 1815 et à cette époque, les sciences et les mathématiques étaient alors peu accessibles aux femmes. Vous êtes donc une exception ! Qu'est-ce qui vous a attiré dans cette voie et comment avez-vous réussi à vous élever dans ce domaine ?"

Ada Lovelace : "Ma mère, Lady Byron, a insisté pour que je reçoive une éducation rigoureuse en mathématiques, peut-être pour contrebalancer ce qu'elle considérait comme la nature trop poétique et impulsive de mon père, Lord Byron. Grâce à cela, j'ai pu suivre l'enseignement du fondateur de la logique moderne, Auguste de Morgane. Je suis rapidement devenue une passionnée ! Les nombres et les équations racontent aussi des histoires, vous savez !"

Thibaut Rety : "Votre collaboration avec Charles Babbage demeure dans tous les esprits. J'ai pu lire par endroits que vous étiez 'au bon endroit au bon moment'. Comment décririez-vous votre relation de travail ?"

Ada Lovelace : "Je ne crois pas qu'il s'agisse d'être au bon endroit au bon moment. Charles Babbage et moi étions complémentaires. C'était un esprit véritablement brillant, et rien n'aurait été possible sans ses travaux. Ceci dit, ma contribution allait au-delà d'une simple machine à calculer. Je percevais un instrument capable de manipuler des symboles, de créer de la musique, de produire des graphiques. Ce que vous appelez aujourd'hui ordinateur polyvalent."

La machine analytique de Charles Babbage

Thibaut Rety : "Dans vos notes sur la machine analytique, vous avez décrit un algorithme pour calculer les nombres de Bernoulli. Réalisiez-vous l'importance de cette innovation ?"

Ada Lovelace : "J'avais l'intuition que ces instructions séquentielles représentaient quelque chose de fondamental. J'ai compris que la machine pourrait suivre une série d'opérations prédéfinies pour résoudre des problèmes complexes. Mais je n'aurais jamais imaginé l'ampleur que prendrait ce concept dans votre monde moderne."

Thibaut Rety : "Que penseriez-vous des ordinateurs d'aujourd'hui et de leur omniprésence dans nos vies ?"

Ada Lovelace : (souriant) "J'aurais été fascinée, mais pas totalement surprise. J'avais prédit que ces machines pourraient un jour composer de la musique élaborée et produire des graphiques complexes. Cependant, l'échelle de votre révolution numérique dépasserait certainement mes prévisions les plus audacieuses. Ce qui me réjouirait particulièrement, c'est de voir comment les ordinateurs ont démocratisé l'accès au savoir."

Thibaut Rety : "Vous avez également anticipé les limites de l'intelligence artificielle, n'est-ce pas ?"

Ada Lovelace : "En effet. J'ai écrit que "la machine analytique n'a nullement la prétention de créer quelque chose par elle-même." Elle peut exécuter ce que nous lui ordonnons, mais ne peut rien originer. Je reste curieuse de voir si vos "intelligences artificielles" modernes ont véritablement dépassé cette limitation fondamentale."

Thibaut Rety : "Lorsque vous avez vu la machine exécuter votre premier programme, cela a dû vous rendre si fière ?"

Ada Lovelace : "Malheureusement, je n'ai jamais pu la voir fonctionner... Le gouvernement a supprimé les fonds et nos travaux devaient s'arrêter. Je me suis alors mise à utiliser mes compétences en probabilité pour jouer aux jeux d'argent tels que les courses de chevaux. La chance s'est jouée de moi et j'ai perdu tout mon argent. J'ai perdu environ 3 200 livres. En euros, aujourd'hui, cela vaudrait approximativement 400 000€. J'ai toujours eu une santé fragile et c'est ainsi que peu de temps après, un cancer de l’utérus aura eu raison de moi. Je suis décédée le 29 novembre 1852."

Thibaut Rety : "Je suis désolé pour ces souvenirs douloureux. En effet, il faudra attendre 1930 pour que votre machine soit concrétisée par Alan Turing. Vos travaux nous ont donc sauvé indirectement du nazisme. Quel conseil donneriez-vous aux jeunes femmes qui souhaitent se lancer dans les sciences et la technologie aujourd'hui ?"

Ada Lovelace : "Cultivez ce que j'appelais "la science poétique" - cette capacité à marier l'imagination créative à la rigueur analytique. Ne vous laissez jamais enfermer dans les catégories que la société vous impose. Les plus grandes découvertes naissent souvent à l'intersection de disciplines que l'on croit distinctes. Et surtout, n'ayez jamais peur de voir plus loin que vos contemporains !"

Thibaut Rety : "Un dernier mot pour nos lectrices et lecteurs ?"

Ada Lovelace : "L'avenir appartient à ceux qui comprennent que la technologie sans humanité n'est qu'un mécanisme vide. Les machines que vous créez sont le reflet de vos aspirations et de vos valeurs. Faites en sorte qu'elles servent ce qu'il y a de meilleur en l'humanité !"

Notre monde moderne doit beaucoup aux travaux d'Ada Lovelace et nous retrouvons également de nombreuses références lui rendant hommage dans la culture populaire. En voici quelques exemples.

Le langage de programmation Ada
Ada, une oeuvre d'art intégrant l'intelligence artificielle installée dans le bâtiment 99 de Microsoft
En 2021, le nom de code de l'architecture GPU de Nvidia pour sa série RTX 4000 est Ada Lovelace . Il s'agit de la première architecture Nvidia à afficher à la fois un prénom et un nom.
Le livre "La machine a différence" de Bruce Sterling et William Gibson
Le livre "The Thrilling Adventures of Lovelace and Babbage" de Sydney Padua